Tristesse

- Le Massif du Fitz Roy (3405 m) depuis El Pilar

"L'Argentine était un rêve d'enfant, de gosse de banlieue.
Depuis la lecture d'un livre qui le fit naître,
des noms résonnaient dans ma tête :
Patagonie, Terre de Feu, Pampa, gauchos et...Fitz Roy.Ce rêve est passé.
Je l'ai vécu intensément, passionnément.
J'ai voulu le partager à travers ce site.
Il me reste d'autres photos, d'autres histoires à raconter,
pour qu'au bout de ces 2 années, prenne forme l'idée d'un livre.Le plus dur reste à faire : convaincre un éditeur.
Mais je ne partirai pas d'Argentine sans avoir remercié,
Hélène qui m'a tout donné et par qui ce rêve est devenu réalité,
Mercedes qui, en s'occupant de tout,
m'a donné le temps de voir tout ce que j'ai vu
de vivre tout ce que j'ai vécu,
Juan et Ana, qui m'ont ouvert les portes de ce monde merveilleux..."
(Vi.De.)

Le fabuleux destin d'Aimé Bonpland.

- Aux alentours de Paso de Los Libres

Son père l'avait surnommé Bon-Plant pour la passion qu'il manifestait tout petit déjà pour les plantes. Il s'appelait en réalité Aimé Jacques Alexandre Goujaud (1). Il préféra ce diminutif qui le fit entrer dans l'histoire sous le nom d'Aimé Bonpland.
Quelle étrange destinée en effet que celle de cet homme de science allant jusqu'au bout de sa passion, traversant, guidé par un idéal humaniste, un temps marqué par le renversement des idées. Ayant quitté sa ville natale, La Rochelle, il arrive à Paris en 1791, au beau milieu du chaos révolutionnaire. Il y vient pour étudier la médecine et se spécialiser dans la botanique. En 1796, il se rend à Rochefort où il entre à l'École Navale de Médecine. Devenu chirurgien de 3e classe, il retourne à Paris l'année suivante pour parfaire sa formation. C'est à ce moment que par l'intermédiaire d'Antoine Jussieu, il fait la rencontre la plus importante de sa vie, celle qui le poussera vers une vie d'aventures à la découverte du Nouveau Monde : Alexandre Von Humbolt (2), un jeune et brillant naturaliste Prussien alors âgé de 28 ans, tout aussi passionné que lui. Ensembles, ils quittent La Corogne à bord du "Pizarro" et partent à la découverte des États-Unis, du Mexique, de Cuba, du Vénézuéla, du Pérou et de la Colombie. De ce voyage qui dura 5 ans, de 1799 à 1804, ils ramènent un herbier de plus de 60000 variétés de plantes dont plus de 6000 sont alors inconnues en Europe, enrichissant ainsi la collection du Jardin des Plantes à Paris. Leurs exploits parviennent aux oreilles de l'Impératrice Joséphine qui nomme Bonpland intendant du domaine de la Malmaison à partir de 1805. À sa façon, Bonpland participe ainsi à l'aventure napoléonienne : il s'occupe des plantes exotiques du parc de la résidence impériale et en tire un ouvrage. En 1814, n'y tenant plus, il repart en Amérique du Sud : cette fois-ci en Argentine, sur l'invitation de l'homme fort du moment, Rivadavia. Il débarque avec l'intention de créer à Buenos Aires un jardin botanique et un musée des sciences naturelles, mais le pays n'est pas prêt. Qu'à cela ne tienne! Bonpland monte dans le nord du pays , dans la province de Corrientes où il achète des terres pour expérimenter ses théories sur l'agriculture intensive.Son choix se porte sur l'herbe à maté. Voyant une menace pour le monopole de son pays, le dictateur du Paraguay, José Gaspar Rodríguez de Francia , l'assigne en résidence surveillée pour le motif fallacieux d'espionnage. Il le retiendra prisonnier pendant près de 10 ans malgré les interventions de Bolivar, de sociétés scientifiques, d'Humbolt lui-même. Loin de se résigner, Bonpland profitera de cette période pour monter une distillerie. Libéré en 1831, il finira par s'installer définitivement dans la Province de Corrientes, à Santa Ana. Bien que sollicité pour des colloques ou des conférences au Brésil, à Buenos Aires, à Paris, il reviendra toujours dans son estancia et vivra ses derniers jours auprès de Maria, la fille d'un cacique local et des deux enfants qu'il aura eu avec elle.

(1) La Rochelle, 28 août 1773 - Santa Ana, Argentine, 10 mai 1858
(2) de son vrai nom, Friedrich Heinrich Alexander, Baron de Humboldt (14 septembre 1769 - 6 mai 1859), sans doute l'un des plus grands, si ce n'est le plus grand des naturalistes, ethnologues, géologues, minéralogistes, botanistes, géographes. Des espèces animales et végétales portent sont nom ainsi qu'un grand nombre de lieux : des villes, des montagnes, des navires, des musées, diverses institutions (collèges, musées, etc...) et même des corps célestes.

Le soleil s'était levé sur Yapeyú

- Sur la rive droite du Rio Uruguay, km 560 de la ruta 14

"Je sens la fatigue de la mort."confiait San Martin à sa fille, Mercedita comme il aimait l'appeler. Il avait 72 ans. C'était à Boulogne-Sur-Mer, en France. Il ne lui restait plus que quelques temps à vivre.Il avait quitté son pays le 10 février 1824. En 1827 il avait de nouveau proposé son aide pour combattre les Brésiliens, mais personne n'avait daigné lui répondre. Il avait voulu revenir une année plus tard, en 1828. Mais lorsqu'il avait appris que son ancien compagnon d'armes, Lavalle, avait exécuté sommairement Dorrego, il s'était résigné à quitter définitivement ce continent auquel il avait tout donné, dépité par la médiocrité de la classe politique de son pays.Honoré des titres de Généralissime du Pérou, Capitaine Général de la République du Chili et Général des Provinces Unies du Río de la Plata, il s'était couvert de gloire sur tous les champs de bataille, aux côtés d'O'Higgins et de Bolivar. Autant que Napoléon Bonaparte en Europe, il était devenu un idéal romantique. Mais «La gloire est une incompréhension, peut-être la pire.»dira Borges un siècle plus tard.

Comment comprendre en effet que cet homme que tous auraient suivi aveuglément, ait été empêché par Rivadavia de se rendre au chevet de son épouse mourante? Comment comprendre qu'il ait été considéré comme un conspirateur par ceux-là mêmes qu'il avait loyalement servi pendant tant d'années?«Toute destinée, si longue et si compliquée soit-elle, compte en réalité un seul moment : celui où l'homme sait une fois pour toutes qui il est.» écrira aussi Borges.

Au soir de sa vie, José Francisco de San Martin mesura-t'il la grandeur de sa destinée? Revoyait-il le soleil se lever sur la rive du río et savait-il enfin qui il avait été?Car c'était là, à Yapeyú (1), que tout avait commencé : qu'était né le rêve d'un homme pour un continent et pour un pays.
(1) José Francisco de San Martin (25 février 1778 - 17 août 1850) passa les 3 premières années de sa vie dans ce village où son Père, Juan de San Martín y Gómez, avait été nommé gouverneur du département. Il était le dernier d'une famille de 5 enfants.

Une "cabalgata" sur la rive de l'Uruguay

- Sur les terres de l'estancia Yapeyu, au km 560 de la ruta 14

De mémoire de "Correntinos", on ne se rappelle pas qu'il ait fait si froid, si longtemps dans la province.
"Quinze jours tout au plus ! " affirme le maître des lieux. "C'est le temps que dure l'hiver sous cette latitude. "Et les températures passent rarement au dessous de 15°c..."
Cela fait plusieurs semaines maintenant, plusieurs mois même, qu'un vent froid venu des régions antarctiques ne souffle pas sur la seule Patagonie. Il a neigé à Buenos Aires le 10 juillet dernier, pour la première fois depuis 1918 ! La proximité du grand fleuve, l'Uruguay, les zones marécageuses qui le bordent, les pluies lourdes qui ne s'arrêtent pas pour autant de tomber dans cette région subtropicale, tout concourt à l'apparition de nappes de brumes au dessus des herbes hautes du "campo".
Ce matin, dans la fraîcheur de l'aube, à la lueur d'un soleil rasant, alors que les autres voyageurs se reposent encore de la longue route de la veille, une cavalière a voulu accompagner le propriétaire de l'estancia dans son tour du domaine.
Au delà de la "tranquera",ils s'enfoncent dans la "niebla". Attentifs aux petits cris d'une faune qui s'éveille, ils parcourent la bambouseraie fantomatique et déci delà voient émerger des goyaviers à l'écorce rousse, des orangers aux fruits amers ou des "timbó" dont les indiens utilisaient le bois pour faire des canoës. Au retour, ils raconteront comment en cherchant à s'approcher d'un philodendron, l'un des chevaux s'embourba jusqu'au poitrail et comment ils réussirent à l'extirper du bourbier.

Fourbus, heureux, ils sont convaincus qu'il n'y a pas mieux pour commencer la journée, qu'une "cabalgata" sur la rive de l'Uruguay, un matin d'hiver austral...

- Vocabulaire :

cabalgata : chevauchée, promenade à cheval
campo : la campagne en général, le domaine ou le champ en particulier
correntinos : habitants de la province de Corrientes
niebla : la brume, le brouillard
timbó : essence d'arbre appelé par les indiens "oreilles de nègres" (orejas de negros)
tranquera : barrière de bois

"Notre Dame des Bons Airs..."

- Au dessus de Palermo Chico, depuis l'autopista General Paz

"Qué buenos aires son los de este suelo!"Que l'air est bon en ces terres! s'écrie, plein de spontanéité, en ce jour de février 1536, Sancho del Campo. Prononçant cette phrase anodine, ce marin de l'expédition de Mendoza se doutait-il qu'il était en train de donner un nom à ce qui serait plusieurs siècles plus tard l'une des plus grandes cités de la terre?Le fortin bâti à la hâte par les hommes de Mendoza, sur les rives du Riachuelo, fait de maisons de torchis, de paille et de pisé, serait en effet appelé Notre Dame des Bons Airs.Il ne résisterait pas aux attaques des Quérandis, mais quand en 1580, près de cinquante ans plus tard, accompagnant Juan de Garay, d'autres aventuriers viendraient, ils se souviendraient de ce nom, refondraient une ville, Trinité, et un port, Sainte Marie des Bons Airs.
Cette origine du nom de "Buenos Aires" ne fait pas l'unanimité parmi les historiens. Certains l'attribuent à une Vierge de Sardaigne, nouvel Eole de marins espagnols, que des vents avaient portés, sains et saufs, jusqu'aux rives d' "el Mar Dulce" (1).
A moins que ce ne soit le bon Saint Martin de Tours , devenu par tirage au sort (2) Saint Patron de la ville de "Buenos Aires", qui ait permis que des hommes puissent atteindre ces terres à l'autre bout du monde, pour y fonder une belle cité...

(1) Les cartographes français de l'époque appelaient cet estuaire la "Rivière Plate", mais Solis, qui fut le premier à le découvrir l'avait baptisé "el mar dulce".

(2) l'anecdote est amusante.
Il était en effet de coutume, lors de la fondation d'une nouvelle cité, d'effectuer un tirage au sort parmi les grands saints de l'époque pour en trouver le protecteur. Inconnu, le nom de Saint Martin sortit 3 fois successivement du bonnet de marin, et tous y virent un signe divin.

Quand Rivadavia expulsait les Récollets

- Basilique Nuestra Señora del Pilar, Junin 1904, Recoleta

La page du siècle des Lumières était tournée, mais ses idées qui avaient submergé l'Europe allaient traverser l'Atlantique.
Dans ces contrées du bout du monde, San Martín se battait au nord de l'Argentine, avec l'idée que l'Indépendance ne pouvait être certaine que lorsque tous les peuples, Péruviens et Chiliens avant tout, seraient libérés du joug espagnol. L'hispanophobie avait atteint son paroxysme et toute la société porteñienne inclinait pour la culture française : dans la mode, dans les divertissements, le théâtre, les salons littéraires.La situation politique, elle, était chaotique. Entre 1819 et 1821, le pouvoir changea de main très rapidement : José Rondeau venait d'être nommé Directeur Suprême qu'il confiait déjà les rennes de l'état à Juan Aguirre López... Pour aller se faire étriller par les "Caudillos du Littoral" à la bataille de Cepeda (1). Manuel de Sarratea, mis en place par les vainqueurs, avait été rapidement remplacé par Miguel Estanislao Soler et Martín Rodríguez succéda à Dorrego qui avait un instant assuré l'intérim. Rodríguez compta dans son gouvernement un dénommé Bernadino Rivadavia (2), partisan de l'isolationnisme de Buenos Aires, réformateur forcené. En 1821, dans un pays où tout restait à construire, Rivadavia fit étrangement de l'expulsion des Frères Recollets (3), de la fermeture du couvent où ils vivaient et de l'église où ils officiaient depuis 1732, l'une de ses priorités .
Il était sans doute plus important d'abolir les privilèges de l'Église, de supprimer la dîme, de lui ôter tout pouvoir social et éducatif que de donner à San Martín les moyens de construire une grande nation argentine. Les idées prévalaient sur les actes, la Raison sur le spirituel : les Récollets en furent les victimes.

(1) Bataille ayant eu lieu le 1er février 1820 aux abords de la localité de Cepeda. La victoire des "caudillos" du littoral mit fin momentanément au pouvoir central de Buenos Aires, et au gouvernement du Directeur Suprême Rondeau qui avait remplacé Pueyrredon moins d'un an plus tôt.

(2) Devenu Président d'une République sans constitution le 7 février 1826, il engagera de nombreuses réformes : création des Archives Nationales, réorganisation de la Justice, suppression des "
cabildos", promulgation de la fameuse loi d'emphytéose, mise en place du système lancastérien dans les écoles. Ces réformes ne s'imposeront qu'à la Province de Buenos Aires, et d'autres ne seront jamais appliquées malgré les prêts consentis par les banques.

(3) Ordre Franciscain fondé en Espagne au XVe siècle, qui s'installa en France par la suite : en 1592 à Nevers et en 1608 à Paris au couvent des Récollets à côté de la Gare de l'Est (aujourd'hui Maison de l'Architecture)

Étape : Estancia La Oriental

- Junín, ruta 7, 280 kms à l'ouest de Buenos Aires

Ces terres avaient été acquises par Manuel Dorrego. Il n'eut pas le temps d'en faire ce qu'il voulait...Victime du premier coup d'état militaire de la nation argentine naissante, le 1er décembre 1828, celui qui avait été élu démocratiquement Gouverneur de Buenos Aires un an plus tôt, avait-il d'ailleurs, en ces instants, une pensée pour ce domaine?Cet homme, coupable au yeux de Lavalle d'avoir signé une paix infâme avec le Brésil et perdu ainsi la Province Orientale (1) au nord du Rio, rêvait-il encore de ces champs sans fin et de cette lagune peuplée de cygnes?

Désabusé il confiait à sa femme, dans une dernière lettre :
"Dans quelques heures je serai fusillé et je
(n'aurai jamais su) pourquoi..."
L'histoire ne le saura jamais non plus. Au moment même où ses terres seront proposées à la vente, en 1869 après avoir été saisies par l'État près de 40 ans plus tôt, le Président Sarmiento, éloquent dans son hommage à Dorrego, s'exclamera :

"Sa mort est un de ces évènements fatals qui font partie de l'histoire dramatique d'une nation sans lesquels elle serait incomplète, froide et absurde."
En 1880, Don Justo del Carmen Saavedra, nouveau propriétaire du domaine fera construire une maison blanche aux volets verts, aux pièces de 7 mètres de plafond.Ce bon vivant, amoureux fou de chevaux, baptisera son estancia, La Oriental (1), peut-être en mémoire de cet homme qui voulu faire naître une nation nouvelle et qui en mourut.

(1) la "Province Orientale" fut le dernier nom que porta l'Uruguay après s'être appelée auparavant "Colonia de Sacramento".

- Remerciements : à Estella Ocampo de Torello et son mari, actuels propriétaires de l'estancia, pour leur excellent accueil.

www.estancia-laoriental.com
(00 54) 11 4801 4876

Pour une "milonga", un soir de pluie...

- Confitería ideal, Suipacha 384

Depuis le milieu de l'après midi une pluie lourde s'abat sur Buenos Aires. Les taxis jaunes et noirs soulèvent des gerbes d'eau que le passant cherche à éviter en longeant les façades.
La nuit venue, des ombres se glissent précipitamment à l'intérieur du bâtiment délabré, au croisement de Corrientes et Suipacha. Le lieu laisse deviner sa splendeur passée. Dans la pergola, les derniers arrivés replient leur parapluie, abaissent leur capuche dégoulinante et déposent leur pardessus au vestiaire.


Un escalier de marbre mène au premier. Les talons claquent d'une marche à l'autre. La fente des jupes s'ouvre, dévoilant, malgré la lumière blafarde dispensée par de vieux lustres poussiéreux, les jambes des femmes galbées par des escarpins exagérément hauts.
Sous une verrière laissant par endroits passer la pluie, des couples s'exercent au son d'un bandonéon timide. L'orchestre n'est pas encore au complet. Dans un murmure bruyant, les uns et les autres se retrouvent aux tables qu'ils ont réservées. Des miroirs aux murs permettent de corriger un maquillage étudié et d'aiguiser la sensualité des tenues.Ils ont traversé la ville entière. Ils viennent de tous les "barrios": des plus loins aux plus près. Ils appartiennent pour la plupart à des écoles de "milonga", où l'on apprend des années durant à parfaire chaque figure, l'une après l'autre, d'un tango que l'on danse pour elle seule, pour lui seul.

Alors quand apparaissent, sortant entre deux colonnes, un couple que tous connaissent, chacun s'efface, retourne à sa table pour admirer l'accord parfait de deux maîtres. Les musiciens jouent les premières notes d'une partition de Piazzola, les corps se tendent : jusqu'aux bout des doigts. Les mouvements s'enchaînent, crispés, passionnés.

La main ne se pose pas : elle effleure, laissant l'espace d'un souffle qui glisse des épaules aux creux des reins, sur les hanches et s'évapore. Les regards fuient puis se fixent dans les yeux de l'autre.Quelques minutes d'abandon, seuls au milieu de ceux qui les envient, au milieu de ceux qui s'apprêtent à les imiter...

Le gaucho de Florencio Molina Campos

- Estancias el Ombu de Areco et la Figura

Son regard fixe un instant le ciel. Il lit dans les nuages et dans le vol des "caranchos", le temps qui change, le temps qui passe...
Le vent et la poussière ont gravé les traits de son visage. L'effort et la peine ont sculpté sa silhouette. Il fait et refait machinalement des gestes maintes fois exécutés.Il pose le "bozal", tend les sangles du "lomillo", redresse les "chalay" pour les touristes venus à l'estancia. Il ne les accompagnera pas : ses jambes arquées et son corps tordu ne veulent plus.Mélancolique, Il se souvient d'un temps où il pouvait se lancer dans des galops effrénés (1) pour attraper (2) et marquer (3) le bétail. Il ne se souvient pas du nombre de "criollos" fougueux qu'il a pu dresser (4).Le souvenir des parties de "pato", des "cogoteadas" ou des courses de "sortijas", à l'occasion des fêtes de villages, éclaire son visage d'un sourire nostalgique au moment où son regard croise celui de son fils. Ses yeux malicieux sous son "chambergo" ne peuvent alors dissimuler la fierté du père.
Car il sait que l'âme du "gaucho " ne se perpétue pas simplement dans les livres de José Hernandez ou de Ricardo Guïraldes : qu'elle est avant tout dans ces enfants encore insouciants, qui portent fièrement la "boina vasca".
Et que la silhouette dégingandée du "gaucho" solitaire sur son "pingo", telle que la dessinait Florencio Molina Campos, continuera longtemps encore à se profiler sur l'horizon du grand océan vert....

- Quelques mots de vocabulaire "criollo":

Boina vasca : Béret basque, dont la couleur signifiait l'appartenance politique de son propriétaire (unitariste ou fédéraliste)
Boleada :
Partie de chasse à l'aide des "boleadoras",
Boleadoras : Arme de jet constituée de lanières de cuir attachées entre elles et dont les extrémités sont de petites bourses de cuir renfermant des pierres rondes.
Bozal (équ.): Filet de cuir tressé entourant la tête du cheval. De différents types : simple, "torcido" ou "trenzado".
Carancho : Espèce de rapace très répandue dans la pampa. De 50 cm de haut et autant d'envergure. Le corps est de couleur foncée, les ailes et la queue sont blanches.
Chambergo : Type de chapeau à large bord.
Cogoteada : Joute entre deux cavaliers qui se tiennent par le col jusqu'à ce que l'un d'eux tombe à terre.
Doma (4) : Dressage des animaux et des chevaux en particulier. Le "domador" est le dresseur.
Enlazada (2) : Action d'attraper un animal à l'aide d'un "lazo" (lasso)
Estribos de chalay : Type d'étriers en cuir
Lomillo : Type de selle. De différents types : "porteno", "antiguo", "enterizo de arzones' ou "basto Victoria".
Pato : Jeu considéré comme l'ancêtre du polo. Cruel au début, il se jouait avec un canard vivant.
Pingo : Appellation familière du cheval du "gaucho".
Rodéo (1) : Action de rabattre le bétail.
Sortija : Jeu. Au bout d'une course le cavalier doit enlever un anneau de bois d'un piquet à l'aide d'un bâton.
Yerra (3) : Marquage du bétail.

- Source :
"Guide de l'Argentine" de Graciela Cutuli et Pierre Daumas, éd. La Manufacture (1998)
"Vocabulario y refranero criollo", de Tito Saubidet rééd. Letemendia (1943)