Étape : Estancia Santa Rita

- Antonio Carboni, pdo de Lobos

Tel un délire mégalomaniaque, l'ex-maison de la famille Ezcurra dresse sa tour unique au dessus de la Pampa. D'un style indéfinissable, si ce n'est celui d'un décor de Cocteau, elle semble tout droit sortie des rèves de grandeur d'une famille "d'estancieros" fraîchement enrichis.Ce fut Juan Ignacio de Ezcurra qui en commanda la construction autour de 1790 et dans cette humble demeure, la douce Encarnación, née le 24 aout 1795, passa une grande partie de son enfance. Jeune fille de bonne famille, elle ne devait avoir d'autre destinée que celle de ceux qui ont l'argent et le pouvoir.Il n'avait que 2 ans de plus qu'elle, presque jour pour jour, mais déjà il avait entendu le son du canon. C'était en 1806, lors du débarquement anglais, quand il avait rejoint la Compagnie des Cadets du Régiment de Migueletes pour défendre Buenos Aires.Agé de 20 ans, il était à la tête de l'immense domaine de la Laguna del Monte et possédait une grande fortune. La jeune Encarnación et ses parents n'y furent certainement pas insensibles. Elle, en tout cas, comprit très vite quel serait le destin d'Ortiz de Rozas, devenu par la suite Juan Manuel de Rosas (1), qu'elle épousa le 16 mars 1813.Elle sut aussi très vite qu'il pourrait avoir besoin d'elle le cas échéant. Ainsi, quand la Chambre des Députés refusa à Rosas les pouvoirs exceptionnels qu'il demandait en tant que Gouverneur de la Province de Buenos Aires, et qu'il se lança dans la première expédition du désert en 1833 pour soumettre les Indiens du Sud, elle resta à Buenos Aires pour l'informer constamment de l'évolution de la situation politique.Encarnación écrivit l'une des pages les plus sombres de l'histoire de l'Argentine pour permettre à son mari d'accéder à la fonction suprême. En son absence, elle prit l'initiative avec Martín Santa Coloma et Ciriaco Cuitiño, chef de la police, de mettre sur pied une organisation parapolicière destinée à combattre par tous les moyens les opposants à Rosas, les Unitaristes.Connue sous le nom de "Mazorca", en rapport avec l'épi de maïs (2), cette organisation survécut à la mort d'Encarnación, le 20 octobre 1838 et poursuivit sa triste besogne pour asseoir l'autorité de Juan Manuel Rosas autoproclamé "tyran" en 1842 et détenteur de tous les pouvoirs de la nouvelle Confédération argentine.Le grand homme chuta de son piedestal un beau jour de 1852. Les règlements de compte succédèrent aux exécutions sommaires : les égorgeurs d'hier devinrent gibiers de potence et Rosas n'eut aucun scrupule à demander asile auprès des Anglais qu'il avait combattu quelques années plus tôt.

(1)Juan Manuel de Rosas (1793-1877) militaire et homme politique argentin (Fédéraliste). 1er dirigeant de la Confédération argentine entre 1835 et 1852.
(2)certains historiens soutiennent la thèse qu'il s'agit en fait de la contraction des 2 mots "Mas" et "Horca" ce qui signifie : plus de potences...

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